Recrutement des professions règlementées : retour d’expérience sur la « chasse médicale ».

18 mars 2019 Actualités

Par Christophe DALLET, Manager du pôle Santé chez ANTENOR

Notaires, Avocats, Médecins, ces professions se caractérisent par une règlementation stricte des conditions d’exercice, par un Ordre chargé d’une mission de service public, et par une communauté professionnelle assermentée et confraternelle.En termes de recrutement, il s’agit de secteurs dynamiques, de plein emploi, dits « à ressources expertes et rares » où l’éventuelle pénurie de compétences impacte l’activité sectorielle ; ainsi des activités de soins, avec l’encombrement constaté de certains services (notamment les Urgences), avec pour le patient, des délais importants pour obtenir un rendez-vous de consultation, et où l’expression « Désert Médical » désignant des zonages déficitaires en termes de présence de praticiens, a fait son entrée dans l’édition 2014 du Petit Robert.

En termes d’emploi et de recrutement, ce cadre conditionne l’exercice de professions évoluant traditionnellement par réseau et où l’intermédiation de recrutement était, jusqu’à peu, inusuelle.

Avec plus de 215 000 médecins inscrits à l’Ordre et bien que dans la moyenne européenne du nombre de médecins par habitant, l’emploi médical est en France un marché en tension pour plusieurs motifs : numerus clausus générant au terme d’études longues, un nombre d’entrants inférieur à celui des sortants (départs en retraites) ; démographie vieillissante (51 ans de moyenne d’âge) ; crise de vocation pour certaines disciplines (dont la médecine générale traditionnellement dite « de campagne ») ; déséquilibre des zones d’exercice (concentration dans les villes) ; attractivité du secteur privé au détriment de l’hôpital public, réforme sectorielle (loi HPST réorganisant les réseaux de santé) ; profession en tension du fait des difficultés d’exercice accrues par le sous-effectif des équipes soignantes…

Traditionnellement, l’emploi et le recrutement médical procédaient par leviers intra-communautaires : remontée des filières (l’internat constituant un vivier naturel), réseau confraternel à principe cooptant, et en ce qui concerne le secteur Public : Tour de PH biannuel organisé par le Centre National de Gestion et diffusions d’annonces sur des supports institutionnels (site de la FHF ou autres)… 

Depuis une dizaine d’années, ces leviers traditionnels se sont avérés insuffisants à répondre aux besoins : nombre restreint des jeunes diplômés et absence de coercition en termes de liberté d’installation, efficacité limitée du réseau, faible rendement des annonces…

Dans un tel contexte, la chasse de tête est une méthode répondant aux difficultés rencontrées ; le médecin constituant un profil typiquement ciblé par ce mode de recrutement puisque compétence rare, experte, et responsable.

L’activité de chasse de tête médicale a longtemps été une activité de niche réalisée par quelques cabinets, avant de connaître une véritable explosion d’intervenants ces cinq dernières années avec, pour date charnière l’année 2006 lorsque la Directive Européenne 2005-36-CE a érigé la reconnaissance des diplômes et facilité l’obtention administrative du plein exercice pour les médecins européens.

Quelques cabinets pionniers s’engagent à l’époque dans cette voie, participant à éduquer décideurs et candidats peu familiers de l’intervention de chasseurs de têtes, et adaptant le métier de la chasse de tête aux spécificités de la profession.

A l’époque, si quelques acteurs d’emploi médical sont dubitatifs (le Médecin serait difficilement joignable, n’aurait besoin de personne pour faire carrière, culture de « l’entre-soi », etc…) la pénurie de ressources est telle (manque apprécié à quelques 12 000 médecins dans le réseau soignant) que le recours à la chasse médicale apparaît comme une solution légitime et nécessaire.

L’essentiel des besoins étant exprimé par des structures publiques recourant à l’Appel d’Offre avec ce que cela implique de conditions d’attribution, rares sont cependant les cabinets à avoir perduré dans cette niche d’emploi particulière.

Conseil en Ressources Humaines créé par deux anciens internes des hôpitaux, ANTENOR s’est dès l’origine, dédié au secteur de la Santé sur les secteurs Pharmaceutique et des Industries de Santé et a réuni une équipe de Consultants expérimentés en chasse de praticiens.

Avec plus de 150 références de collaboration avec des structures sanitaires (hôpitaux, cliniques, agence de veille sanitaire, communautés de communes…), et plus de 300 médecins recrutés, l’antériorité de l’équipe dans cette spécialité nous permet un retour d’expérience quant aux adaptations métier qui ont été nécessaires et spécifiques à la chasse médicale.

En termes d’organisation, le modèle de compétences propre au conseil en recrutement, a dû être repensé et refondu. 

En effet, usuellement, le Consultant en recrutement commercialise et produit ses missions en toute autonomie, couvrant le spectre complet depuis sa génération jusqu’au livrable. 

Ce modèle était inadapté face à un secteur comportant, en France, un potentiel client totalisant près de 4000 structures sanitaires et un potentiel candidat de 215 000 médecins spécialistes (plus d’1 500 0000 en Europe) eux-mêmes répartis entre plus de 50 disciplines médicales. 

La modélisation la plus adaptée a consisté en une ultra-spécialisation des compétences par processus : des Consultants dédiés à l’action commerciale, spécialisés géographiquement par Territoires de Santé et capables d’appréhender les enjeux sectoriels des décideurs de recrutement ; des Consultants dédiés à la production des missions, spécialisés par disciplines cliniques et capables d’appréhender les enjeux métiers des communautés de compétences et des candidats ; enfin des Chargés de Recherche également spécialisés par disciplines cliniques ou par pays au plan européen afin d’identifier finement les candidats et les accompagner durablement en regard de délais de réflexion et de décision de changement de moyen si ce n’est de long terme.

A noter que cette nouvelle cartographie de l’organisation et du modèle internes de consultance, outre une expertise renforcée de chaque intervenant, a nécessité la transformation d’un métier jusqu’alors individualisé voire individualiste, en un exercice collectif, où l’orchestration de compétences complémentaires nécessite un déploiement co-responsable des missions confiées en mode projet.

En termes de contractualisation, la vacance durable de praticiens spécialistes au sein de services impactant son produit d’exploitation (du fait de la tarification à l’acte déployée ces dernières années) et pouvant entraîner à terme la remise en cause de l’accréditation sur la discipline concernée, les directions d’établissement n’avaient absolument pas pour pratique d’externaliser des prestations de recrutement. La financiarisation du recrutement au sein d’une profession fonctionnant jusqu’alors en réseau, représente en effet un poste budgétaire nouveau et supplémentaire. 

A ce titre, de la part des cabinets, un véritable apprentissage des décideurs, en termes de familiarisation avec les services proposés et produits par les chasseurs de tête, a été nécessaire et l’est encore aujourd’hui.

En termes d’identification et sourcing, la profession étant règlementée, le contingent en exercice est identifiable : la fameuse « descente d’organigrammes », l’identification « sur scénario », ne sont pas de mise. En France comme dans chaque pays européen, de nombreux annuaires sont accessibles, les structures sanitaires, publiques comme privées, renseignant sur leur site, par services, l’identité des praticiens exerçant dans l’établissement. 

Ce contexte particulier laisse entrevoir, pour le cabinet, la possibilité théorique d’un « community management » systématique et exhaustif, devançant dès 2006 les enjeux actuels du secteur en termes de recueil et exploitation de Big Data.

En termes de qualification et de sélection…

Seul l’Ordre est habilité à blâmer ou radier un médecin, il n’est donc ni du rôle ni de la compétence du cabinet, de qualifier un médecin de « bon » ou « mauvais » médecin. Prosaïquement, le bon médecin est de plein exercice, le mauvais médecin (du fait de mal praxis ou de contrevenance aux conditions et pratiques ordinales) ne pouvant être qualifié et sanctionné comme tel que par l’Ordre.

De fait, en termes de qualification, le rôle du cabinet consistera à valider naturellement que l’ensemble des expériences, compétences, et des conditions de plein exercice, sont réunies par le candidat, mais également à saisir les ressorts de personnalité dans la perspective d’un exercice souvent collégial, à intégrer, outre les motivations de la logique de changement et du projet professionnel, le « projet de vie » du praticien candidat. 

Il est à noter que le motif de changement essentiel exprimé par les médecins, outre évidemment le projet d’établissement, l’organisation du service, la nature des pathologies traitées, et les conditions proposées, reste la localisation… A contrario de la surenchère au changement ou du mercenariat fréquents dans certaines professions « chassées », la profession médicale, (dont, à tout le moins dans le secteur public, la rémunération est strictement définie par la grille hospitalière) échappe à cette antienne. La première interrogation du médecin quant à la nature de l’opportunité d’exercice proposée ne sera pas : « combien ? » mais « où ? », la « mobilité candidat » s’entendant au premier degré.

Cette notion de « projet de vie » se trouve naturellement primordiale en ce qui concerne des médecins européens candidats à une expatriation. Ainsi, la « sphère personnelle » en principe réservée dans l’appréciation d’une candidature, est, pour et par les médecins eux-mêmes, très volontairement et très délibérément évoquée: tel médecin se souciera, dans un changement, des capacités d’emploi de son époux ou de son épouse, ou des cursus universitaires locaux répondant aux projets d’études de ses enfants…

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A noter que le périmètre de chasse, dimensionné au plan national ou européen, a pour conséquence que la majorité des échanges entre le consultant et ses candidats sont distants : la combinaison du téléphone, de Skype et des échanges de courriels a remplacé l’entretien de visu (dont la configuration est pourtant un ancrage fort de notre profession), pour d’évidentes raisons de disponibilité et de logistique, et par le fait que l’entretien de recrutement, en tant que tel, ne participe guère à la culture médicale ou l’entre-soi confraternel prime.

La rencontre entre le candidat et la structure sanitaire cliente prend également une forme exclusive à la profession, puisque de manière très répandue, l’entretien du candidat in situ, est programmé non pas sous forme d’un échange classique autour d’un bureau, mais d’une mise en situation d’exercice d’une durée de deux à cinq jours, au sein du service et de l’équipe concernés, véritable « assessment» permettant de jauger réciproquement de l’opportunité d’un rapprochement et ce avant toute décision.

Enfin quant à la transmission et l’étude des candidatures, on notera que la tension de l’emploi médical est telle, que les candidatures nécessitent une étude réactive et au fil de l’eau, occultant toute notion de « short list ». Dans 50% des cas, le premier candidat présenté fait l’objet d’une intention d’embauche de la part du client, et dans 30% des cas, le premier candidat présenté répond favorablement à la proposition faite par l’établissement.

En termes de consulting / En conclusion…

Les apports du Chasseur de Tête représentent d’évidence une forte valeur ajoutée répondant aux difficultés de recrutement de ce marché d’emploi. 

Si la « chasse de tête » s’est aujourd’hui démocratisée et son fondement méthodologique, «  l’Approche Directe », s’entend fréquemment désormais comme un vulgaire travail à façon de tri sur CVthèques et d’animation de réseaux sociaux, elle regagne dans ce secteur ses lettres de noblesses : le médecin est une cible nécessitant une approche très professionnalisée ; les décideurs de recrutement médical trouvant pour leur part, dans l’accompagnement par un cabinet conseil, un savoir-faire, une expérience, des méthodes et outils, qui ne leurs sont pas supplémentaires mais complémentaires.

Au même titre, l’apport de cabinets familiers des marchés de croissance, est fondamental quant à l’évolution et la performance du recrutement des structures sanitaires : les expressions « d’hôpital-entreprise » et de « Cliniques Commerciales » apparues depuis quelques années comme nouveaux éléments de langage, ne relèvent pas du dévoiement d’une mission de service public vers une logique de marché, mais exprime sa nécessité d’adaptation à l’évolution des économies et de son adoption de bonnes pratiques expérimentées en entreprise, dans d’autres secteurs d’activité. Outre les réformes actuellement en cours (modes de gouvernance des établissements sanitaires, réorganisation des activités et parcours de soins), la gestion des ressources et donc l’évolution des pratiques de recrutement participent pleinement à ces enjeux essentiels pour les Directeurs d’établissement et les Responsables des Affaires Médicales.

La notion d’image employeur, l’amélioration de la GRH notamment par des GPEC adaptées permettant le développement de l’attractivité et de la rétention et la baisse des rotations, la mise en place de process et d’outils de recrutement efficaces, constituent autant de sujets qui interpellent dès aujourd’hui les structures sanitaires de demain dans la nécessité d’aligner leur stratégie et leur besoin de ressources, matière, là encore, en termes de conseil RH, à initialiser et accompagner ce changement.